Les covoitureurs : nouvelle cible du fisc français ?

L’administration fiscale française rappelle que les montants perçus par les covoitureurs sont exonérés d’impôt mais dans des conditions telles que la plupart des plateformes de covoiturage sont incapables de fournir les d’informations nécessaires aux covoitureurs pour bénéficier de cette exonération.
Face à la multiplication des services de co-consommation, en particulier de co-voiturage, nous avions publié, dès juin 2015, un article intitulé «Service collaboratif ou lucratif ? Telle est la véritable question» qui visait à déterminer la ligne à ne pas dépasser pour éviter une requalification des prestations collaboratives en prestations soumises à l’impôt.
Plus d’une année après, l’administration fiscale française publie le 30 août 2016 une instruction qui, si elle rappelle l’exonération des sommes perçues par les particuliers proposant une prestation de service de co-voiturage, précise surtout les contraintes à respecter pour pouvoir bénéficier de cette exonération.
Comme nous le verrons, la majorité des plateformes de covoiturage ne peuvent pas, en raison de leur organisation, fournir à leurs covoitureurs les informations exigées par l’administration fiscale.
Au niveau du prix demandé
La première limite fixée par l’administration concerne le prix proposé par le covoitureur.
Paradoxalement, le prix maximum autorisé pour bénéficier de l’exonération ne constitue pas une réelle restriction pour les covoitureurs.
Le prix demandé par un covoitureur ne peut couvrir que les seuls frais directement supportés par le déplacement en commun (carburant et péage).
Pour simplifier le calcul du prix demandé, l’administration fiscale accepte que son barème kilométrique forfaitaire puisse servir de référence pour déterminer le prix proposé par les covoitureurs.
Attention, les frais partagés ne doivent pas inclure la part du chauffeur qui propose le service.
Par ailleurs, le prix maximum proposé par les covoitureurs sur la plateforme dépend du nombre de places offertes sur la plateforme et non pas du nombre de passagers dans le véhicule.
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Ainsi, en appliquant cette règle, si vous offrez :
- 1 place disponible, le prix maximum proposé sur la plateforme pour bénéficier de l’exonération fiscale ne doit pas dépasser 50% du total des frais de carburant et de péage engagés pour effectuer le trajet.
- 2 places disponibles, le prix maximum proposé sur la plateforme pour bénéficier de l’exonération fiscale ne doit pas dépasser 33,33% du total des frais de carburant et de péage engagés pour effectuer le trajet.
- 3 places disponibles, le prix maximum proposé sur la plateforme pour bénéficier de l’exonération fiscale ne doit pas dépasser 25% du total des frais de carburant et de péage engagés pour effectuer le trajet.
- 4 places disponibles, le prix maximum proposé sur la plateforme pour bénéficier de l’exonération fiscale ne doit pas dépasser 20% du total des frais de carburant et de péage engagés pour effectuer le trajet.
Un exemple chiffré permet de clarifier la situation.
Soit un voyage entre Lille et Paris (220 km) proposé par un particulier utilisant un véhicule de tourisme de 7 CV de puissance fiscale.
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Nous avons :
- Frais de péage correspondant au déplacement : 15,60€
- Barème forfaitaire fixé par l’administration fiscale pour les véhicules de 7 CV et plus : 0,595 € / km
Evaluons les prix du trajet en utilisant le barème forfaitaire.
Nous avons : 220 x 0,595 = 130,90 € (le barème forfaitaire intègre tous les frais y compris ceux de péage).
Pour ce trajet, si vous offrez :
- 1 place disponible, le prix maximum proposé sur la plateforme sera de 130,90 /2 = 65,45 €.
- 2 places disponibles, le prix maximum proposé sur la plateforme sera de 130,90 /3 = 43,63 €.
- 3 places disponibles, le prix maximum proposé sur la plateforme sera de 130,90 /4 = 32,72 €.
- 4 places disponibles, le prix maximum proposé sur la plateforme sera de 130,90 /5 = 26,18 €.
Comparons ces montants, aux prix généralement observés sur ce trajet sur les différentes plateformes.
Nous constatons que les prix proposés par les covoitureurs pour un trajet Lille – Paris s’échelonnent entre 12 et 18€.
Les limites fixées par l’administration fiscale française sont donc très supérieures aux prix de marché.
La contrainte économique imposée par l’administration fiscale française donc n’entrave pas le développement de la pratique du covoiturage au moins, sur grande distance, même si le prix maximum demandé doit être déterminé en fonction du nombre de places proposées et non du nombre de covoiturés effectivement transportés.
Sur de courtes distances, quelques kilomètres, la contrainte de prix peut-être plus difficile à respecter, notamment en zones urbaines et périurbaines où la consommation de carburant peut être deux fois plus élevée en raison de la densité du trafic et des limitations de vitesse.
Au niveau administratif
C’est là que le bât blesse.
« Le contribuable doit être en mesure de justifier l’itinéraire parcouru dans le cadre de son activité de covoiturage, ainsi que les frais correspondants » indique l’instruction de l’administration fiscale.
Traduction pratique.
Le covoitureur doit enregistrer son itinéraire afin de pouvoir démontrer à l’administration fiscale que cet itinéraire est cohérent avec la destination finale qu’il s’était fixée.
Le covoitureur doit également conserver les justificatifs (itinéraires et frais correspondants) aussi longtemps que dure la possibilité de redressement de l’administration fiscale.
L’obligation de justifier de son itinéraire sous-entend que le covoitureur doit disposer de la trace de son déplacement.
Les plateformes de covoiturage actuelles se contentent d’une mise en relation entre des offreurs et des demandeurs.
Elles ne fournissent pas cette information à leurs covoitureurs qui devront ainsi, la constituer par eux-mêmes pour bénéficier de l’exonération des sommes reçues en contrepartie de leur service.
De surcroît, l’obligation de justifier de son itinéraire sous-entend que le covoitureur devra aussi indiquer son lieu de destination finale et la raison de son déplacement pour démontrer que la finalité de son déplacement ne vise pas à des fins lucratives.
En conclusion
- Sous couvert de valider l’exonération des montants perçus par les covoitureurs, l’administration fiscale française impose, pour bénéficier de cette exonération, la fourniture d’informations que la plupart des plateformes de covoiturage actuelles ne peuvent pas offrir.