Service collaboratif ou lucratif ? Telle est la véritable question

L’éventail des services partagés s’élargit chaque jour et empiète de plus en plus sur l’activité des acteurs économiques traditionnels qui crient à la concurrence déloyale.Uber illustre parfaitement cette évolution mais son succès auprès des utilisateurs doit inciter les responsables politiques à préciser la limite exacte séparant service collaboratif et service marchand.
L’économie collaborative : un domaine en pleine expansion
L’essor des technologies de l’information et de la communication et l’apparition d’une crise économique mondiale et longue ont fait émerger une économie de partage touchant tous les secteurs économiques et toutes les classes sociales.
Aujourd’hui, même les plus riches n’hésitent plus, désormais, à partager leur villa et leur yacht lorsqu’ils ne les occupent pas.
Uber : un succès grandissant auprès du public
UberPOP est un service permettant à une personne disposant d’un véhicule, d’entrer en contact avec une autre personne désirant effectuer un trajet afin de lui proposer de la transporter.
Répondant précisément à un besoin situé entre les taxis, les voitures avec chauffeur (un autre service d’Uber) et les transports collectifs, UberPOP est plébiscité par les utilisateurs .
Une tarification imprévisible
La prestation facturée aux personnes transportées est calculée selon une formule comprenant un montant fixe pour la prise en charge de la personne et un montant proportionnel, à la fois, à la longueur du trajet et à sa durée.
Cependant, le montant de la prise en charge, le prix de la minute de voyage et le prix du kilomètre parcouru ne sont pas fixes.
Ils peuvent varier en fonction de deux paramètres : la catégorie du véhicule (berline ou van) et l’évolution, évaluée toutes les 15 minutes, du niveau de l’offre et de la demande de transport.
Ainsi, les bases du calcul du prix de la prestation restent imprévisibles jusqu’à la confirmation de la réservation.
L’impact aux heures de pointe
Ce n’est un secret pour personne : aux heures de pointe, la vitesse moyenne de circulation se ralentit, souvent même très fortement et la composante proportionnelle à la durée du parcours s’élève alors naturellement.
Ici, l’augmentation en parallèle du coefficient qui y est appliquée pousse doublement le prix de la prestation de transport à la hausse.
Uber : l’emblème à abattre
Cette organisation de l’accès au service de transport et le mode de calcul de son prix sont proches de ceux utilisés par les taxis.
Face à cette situation, les chauffeurs de taxis ont fait valoir au gouvernement que le service UberPOP ne relevait pas de l’économie collaborative mais qu’il permettait aux chauffeurs d’Uber d’exercer une activité lucrative et que, puisque tel était le cas, les chauffeurs d’Uber devaient être soumis aux mêmes réglementations et aux mêmes contraintes techniques et économiques qu’eux .
Les procédures à l’encontre d’Uber pour non-respect de la législation sur le transport de personnes et pour concurrence déloyale notamment se alors sont multipliées dans de nombreux pays.
Plusieurs gouvernements ont édicté à l’encontre d’Uber des restrictions d’accès au service et des obligations particulières dont la légalité est actuellement contestée devant les tribunaux.
Uber : 50% moins cher que le taxi
Vérifions sur un exemple, le positionnement de l’offre économique d’UberPOP.
Retenons, pour cela, un trajet de 4 kilomètres effectué en journée dans Paris c’est-à-dire, au tarif A pour les taxis.
L’Observatoire des déplacements de Paris indique, dans son dernier rapport, que la vitesse moyenne de circulation sur le réseau urbain limité à 50 km/h est en réalité de 18,9 km/h et qu’il n’est que de 17,3 km/h. sur les sections limitées à 30 km/h.
Sur la base de la situation la plus favorable, la durée pour effectuer 4 km à la vitesse moyenne de 18,9 km/h est de (3.600 /18,9) x 4 = 13 minutes et 4 secondes que l’on arrondira à 13 minutes.
A partir de ces données, calculons le coût facturé par Uber Pop et par un taxi parisien pour ce déplacement.
Uber Pop | Taxi parisien (Tarif A) | |
---|---|---|
Prise en charge | 1€ | 2,60 € |
Composante kilométrique | 0,95 x 4 = 3,80 € | 1,05 x 4 = 4,20 € |
Composante temporelle | 0,15 x 13 = 1,95 € | (32,05/60) x 13 = 6,94 € |
TOTAL | 6,75 € | 13,74€ |
Soit | 1,69 €/km | 3,44 €/km |
Première observation : le prix demandé par UberPOP est bien de 50% inférieur à celui demandé par un taxi parisien.
Pour autant, cette prestation représente-t-elle un service marchand ?
Où se situe la ligne jaune ?
L’économie collaborative vise au partage des biens afin d’augmenter leur taux d’utilisation et d’en amortir, ainsi, plus largement les coûts.
Vérifions si le prix facturé pour le UberPOP constitue ou non un service entrant dans le domaine de l’économie collaborative et pour cela, retenons les hypothèses suivantes :
- le véhicule utilisé pour effectuer le trajet de notre exemple est une Clio Renault c’est-à-dire, un véhicule d’une puissance de 4 CV
- le véhicule utilisé roule 20.000 km/an (soit 5.000 km de plus que la moyenne des véhicules circulant en France).
- Le véhicule utilisé transporte au maximum 4 personnes (y compris le conducteur) pour des raisons de confort.
Regardons maintenant le tarif que les services fiscaux français acceptent, en déduction des frais kilométriques, pour le type de véhicule utilisé et le nombre de kilomètre effectué.
Nous obtenons, pour l’année 2015, un montant de : 0,493 €/km.
Au premier abord, il semble normal de considérer que la perception d’un prix supérieur au barème fiscal de déduction des frais kilométriques est génératrice de profits et constitue donc une activité lucrative.
En suivant cette logique piste, les chauffeurs d’Uber exercent clairement une activité lucrative puisque, sur la base de l’exemple précédent, leur tarif représente, a minima, 3, 5 fois le montant du barème fiscal.
Une analyse plus fine s’impose
Observons et considérons le cas de trois personnes utilisant leur voiture individuelle pour effectuer le trajet domicile – travail.
Ce choix se traduira par des embouteillages plus fréquents et importants dont les conséquences néfastes affecteront l’ensemble de la population.
Au-delà de ces coûts directs et indirects, leur choix se matérialisera, pour les finances publiques par une déductibilité fiscale pour frais professionnels de 3 x 0,493€/km parcouru soit 1,479€ /km parcouru.
Analysons maintenant les prix de la prestation d’UberPOP non plus par véhicule, mais par personne transportée pour apprécier dans quel cas il est possible de qualifier le service de collaboratif ou de marchand.
Explorons pour cela, deux alternatives :
- le coût de transport est réparti uniquement sur les passagers.
La participation du conducteur consistant en un apport en nature par le biais de sa capacité à conduire un véhicule et du temps qu’il consacre à la conduite durant le trajet partagé. - le coût de transport est réparti sur toutes les personnes présentes du véhicule.
Le chauffeur devant de toutes les façons utiliser son véhicule pour effectuer son trajet, la prise de passager n’est destinée que réduire sa participation aux frais de transport et non à s’y substituer.
Appliquer à notre exemple, nous obtenons :
Quand le coût de transport est réparti uniquement sur les passagers |
Nombre de personnes présentes dans le véhicule | 1 | 2 | 3 |
Coût par km / personne dans le véhicule | 1,69/1 = 1,69 € | 1,69/2 = 0,85€ | 1,69/3 = 0,56€ |
On constate que dans tous les cas, le coût/km supporté par les passagers est supérieur à la déductibilité fiscale.
Quand le coût de transport est réparti sur toutes les personnes présentes du véhicule |
Nombre de personnes supportant les frais | 2 | 3 | 4 |
Coût par km / personne dans le véhicule | 1,69/2 = 0,85€ | 1,69/3 = 0,56€ | 1,69/4 = 0,42€ |
Déductibilité fiscale maximale si chaque personne prend un véhicule pour se déplacer |
Déductibilité fiscale maximale | 0,493 x 2 = 0,986 € | 0,493 x 3 = 1,479 € | 0,493 x 4 = 1,972 € |
On constate que les coûts au kilomètre sont inférieurs à la déductibilité fiscale, uniquement lorsqu’il y a quatre personnes dans le véhicule et que toutes participent aux frais.
Conclusion
- Les chauffeurs d’UberPOP exercent assurément une activité lucrative.
- Sans préjuger s’il s’agit ou non d’une activité de transport de personnes, ils restent assujettis aux règles fiscales en vigueur pour leur activité commerciale.
- En revanche, le modèle économique du covoiturage correspond à une activité non lucrative qui mérite de se développer car il est profitable pour les conducteurs, leurs passagers et l’Etat; chacun dépensant moins, tant de façon directe qu’indirecte, pour se déplacer.
- Le covoiturage est aussi bénéfique pour l’ensemble de la population qui n’a pas à subir les effets néfastes des embouteillages et des émissions polluantes qui en résultent